Sagesse

La Pensée Du Jour

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dimanche 31 octobre 2010

Propriété intellectuelle : Une carte pour aguicher les investisseurs


· Au Maroc, la loi existe mais n’est pas appliquée

· Pas d’innovation sans sécuriser les droits

· «Terrorisme judiciaire» pour étouffer la concurrence 

ILS s’en servent comme outil de concurrence. En faite, la propriété intellectuelle est une arme redoutable: 80% des droits sont entre les mains des riches pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). 
Bernard Remiche, professeur à la faculté de droit à l’Université catholique de Louvain, parle de «crise», particulièrement pour les brevets(1). Et pour cause, l’évolution technologique et l’émergence d’une société immatérielle. Une crise qui a ses symptômes. Le centre de la propriété intellectuelle -toujours en matière de brevet d’invention- s’est lui-même déplacé: «Avant, il appartenait au créateur. Actuellement, il est détenu par les investisseurs», poursuit l’universitaire belge. 
Le concept de la propriété s’est également élargi aux nanotechnologies, aux logiciels... 
L’accord ADPIC, négocié au cours du Cycle d’Uruguay, qui s’est tenu de 1986 à 1994, a introduit pour la 1re fois des règles relatives à la propriété intellectuelle dans le système commercial multilatéral. C’est un accord qui va modifier le rapport économique qui existe avec la propriété intellectuelle. 
Les multinationales en font une arme pour contrôler une technologie dans le monde entier. 

Juridisme accru

Tendances contradictoires: parallèlement à leur lutte contre la contrefaçon, il n’y a pas de transfert de technologie. La relation entre santé publique et droit de la propriété intellectuelle en est la manifestation la plus critique. La Belgique fut en 1955 le 1er pays dont la Cour de cassation a accordé des brevets sur les produits et procédés pharmaceutiques. Les derniers pays ont été l’Espagne en 1992, puis la Suède. Avec le débat que l’on connaît portant sur le recours aux médicaments génériques pour lutter contre des fléaux tels que le sida. 
Les négociations du Cycle de Doha ont fini par admettre que la santé n’est pas un secteur comme un autre. «D’où l’octroi aux pays en voie de développement du droit de breveter les médicaments jusqu’à janvier 2016. Mais ils n’en profitent pas», regrette le professeur Remiche. Son intervention, le 7 octobre à la faculté de droit et d’économie de Casablanca, a véritablement levé le voile sur ce juridisme accru qui fait désormais partie des stratégies d’entreprises. Et tout ce qu’il sous-tend comme conséquence: «financiarisation», «marchandisation»… 
Une étude américaine a démontré qu’à partir de 1975, la valorisation financière des droits de propriété des 500 grandes firmes est passée de près de 17 à 80% trente ans après! La marque Google à titre d’exemple vaut 86 milliards de dollars, Microsoft 73, Orange 15 milliards de dollars. 
En 2010, les prévisions tablent sur 15 millions de demandes de brevets contre un million il y a à peine vingt ans. Même les chapeaux pour chien n’y échappent pas. 
Cette protection juridique tous azimuts cache un autre phénomène. Le professeur Remiche parle même de «terrorisme judiciaire». Des entreprises US, surtout, achètent des brevets et s’en servent pour lancer des procès en vue d’arracher des «dédommagements». Il y a là un «détournement du droit. Je suis pour la lutte contre la piraterie. Mais les autorités européennes mélangent les concepts et les chiffres», s’étonne le chercheur belge. Exemple: une chemise qui coûte moins cher aux Etats-Unis qu’en Europe passe pourtant pour de la contrefaçon. Il y a par ailleurs la production d’un faux médicament sous le nom d’une vraie marque. «Seul ce dernier type de pratique doit être combattu. Et ce genre d’acte ne représente que 8% du commerce mondial», poursuit-il. 
Une directive européenne relative à la propriété intellectuelle est actuellement en préparation. Tout porte à croire que l’UE va vers un durcissement de la loi. Et qui n’est pas toujours justifié, estiment les observateurs. L’accord ACTA est, lui, «négocié en secret». L’emprisonnement, selon le Pr Remiche, portera sur tout acte de piraterie. Or, il faut «nuancer, graduer…». 
La thèse du détournement de la loi peut avoir un impact dangereux. Surtout lorsqu’il est question de produits assez spécifiques. C’est le cas de la santé, de la culture, voire de l’environnement. Et où la réduction des coûts de traitement via des exceptions peut à court terme se révéler salvateur pour s’attaquer à des problèmes de santé publique.
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(1) C’était lors du colloque international sur la «Convergences des politiques juridiques pour un développement commun dans l’espace euro-méditerranéen». Voir aussi L’Economiste du 11 octobre 2010.

Surprotection

SURPROTÉGER les droits de propriété intellectuelle équivaut à un verrouillage de l’innovation, à la concentration des gains. Il y a des parades. Des Etats, comme la Chine, négocient avec les investisseurs un transfert en douceur de leur technologie. En contrepartie bien entendu d’un respect scrupuleux des droits. C’est un modèle de développement économique qui a fait ses preuves en Asie du Sud-Est. Et là, les «réseaux ont remplacé les marchés. Avec justement l’émergence de grandes chaînes de valeur en textile, électronique ou agroalimentaire. Si vous n’y participez pas, vous n’existez pas», affirme Abdelkader Sid Ahmed, professeur à l’Université Paris I, Panthéon Sorbonne. Les pays du Sud, Maroc en tête, peuvent s’en inspirer. A condition de ne plus considérer le piratage comme une soupape officieuse du chômage. Et avec Maroc Numéric, le gouvernement El Fassi mise sur les technologies comme moteur de croissance. C’est jouable. Mais jusqu’à présent, l’Etat de droit a encore du mal à s’affirmer sur le terrain de la propriété intellectuelle. C’est une carte qui servirait pourtant à attirer plus d’investisseurs.

Faiçal FAQUIHI


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