Sagesse

La Pensée Du Jour

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dimanche 31 octobre 2010

Quel droit devons-nous appliquer pour le cybermonde? Par Mohamed Larbi Ben Othmane



Certains l’appellent cybermonde, d’autres cyberespace ou même infosphère. Plus couramment, on parle aujourd’hui plutôt d’Internet, du Web et des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Comme vocable, le cybermonde est une invention des pères fondateurs de la nouvelle science-fiction (William Gibson, Dan Simmons). Il définit notre monde actuel et ses données numérisées. Il a pris la forme d’un univers d’information et de communication lié à l’interconnexion consensuelle et globale de nos ordinateurs et de nos téléphones.
Le droit ne pouvait rester étranger à cette révolution et à cette connexion à une infinité de lignes, d’échanges, d’offres et de demandes. D’abord lui-même ne pouvait être qu’affecté en tant que régulateur des échanges de toutes sortes. Ensuite, il devait, par nature, investir ce monde pour répondre au rôle qui lui est naturellement assigné. Un rôle qu’il doit continuer de jouer ne serait que pour assurer un minimum de sécurité juridique aux centaines de milliers d’opérateurs et autres centaines de millions d’usagers de cet espace.
Or, si tel est le cas, un constat s’impose. Par rapport à la déferlante des innovations de la technologie et de l’information, le droit tarde à réagir, et à cette lenteur, il ajoute la complexité croissante des normes qu’il a générées à l’occasion de cette nouvelle donne (E Montero: Internet face au droit, ed. Bruyant, 1997).
Le droit s’en trouve donc d’ores et déjà et à la fois, contourné, submergé, bouleversé. Nombre de ses repères sont bousculés, son identité même est remise en cause. Les concepts sur lesquels il s’est traditionnellement construit sont remis en question. Les changements technologiques surabondants produisent en pratique des effets et provoquent des mutations telles que le droit classique arrive, de plus en plus mal, à cerner. Le législateur marocain s’est vu ainsi amené à essayer, mais de façon très embryonnaire, de s’adapter en promulguant deux lois modifiant le code des obligations et contrats (loi 53- 05 sur l’échange informatique des données) et le Code pénal (loi 07-03 relative au traitement automatique des données).


Logique mondialisée



Les innovations en question sont en général d’ordre universel et transnational. Le droit, de son côté, demeure plutôt territorialisé. Sa délimitation confinée à l’intérieur d’un espace délimité s’adapte mal à la logique mondialisée du cybermonde, puisque celui-ci ignore toute notion de frontières politiques, historiques, idéologiques, ethniques ou autres. A cela s’ajoute aussi le fait que le droit se complexifie lui-même en raison de la multiplication de ses nouvelles sources à la fois externes et internes. Cette complexification entraîne un floutage de ses dispositions législatives et réglementaires. Elle rend, par conséquent, l’interprétation du droit souvent risquée pour la protection des usagers et surtout des justiciables.

Aussi, face à cette nouvelle technologie et la «nouvelle économie» à laquelle elle a donné lieu et qui lui est liée, le droit est devant un triple défi: celui de tenir le rythme devant les innovations créées par le cybermonde, celui d’offrir des normes adéquates et adaptées à la nouvelle situation et enfin, celui d’éviter la complexification de son propre contenu pour être réellement opérationnel.

D’évidence, se cloîtrer dans sa territorialité n’est plus aujourd’hui envisageable pour le droit. Le cyberespace requiert un cyberdroit. A l’image de son objet et des sujets qu’il est appelés à régir, il ne lui reste que la solution de l’évolution, de l’ouverture et de la mondialisation. Cela n’est pas forcément une fâcheuse fatalité! Et si cela était, elle le serait pour qui? L’ouverture est plutôt une chance; une opportunité pour moderniser et mettre à niveau, du moins, ses aspects qui gouvernent le monde des affaires, l’intervention de l’Etat dans l’économie, le droit monétaire, le crédit et la banque, la propriété intellectuelle et industrielle, le droit de la concurrence, le commerce international…
(V. Sedaillan: Droit de l’Internet, AUI, 1997).
Cette ouverture n’est certes pas dépourvue de risques, notamment en matière d’harmonisation des législations nationales, des difficultés d’applications des décisions judiciaires ou vis-à-vis de la prolifération des normes de diverses natures. Plus, cette ouverture et la conciliation entre l’ultra rapidité des changements technologies et la lenteur du corpus légal à évoluer, ne sont pas pour l’instant à l’ordre du jour. Tel est le constat. 
La problématique dès lors se pose dans les termes suivants. Y aurait-il, si tel est le cas, à rechercher une dynamique alternative pour consacrer une sécurité juridique susceptible de protéger les intérêts légitimes de ces intervenants, opérateurs et usagers qui se comptent par centaines de millions dans le cybermonde.



A la recherche d’une sécurité juridique




Historiquement, la dynamique interne du droit commercial, à titre d’exemple, a déjà eu affaire à ce genre de situation. Elle est à l’origine du procédé qui a donné naissance à la lex mercatoria (ou loi des marchands) qui, durant des siècles, a produit un droit régulateur et adapté aux exigences du commerce. C’est un droit qui émane des milieux professionnels plus que des autorités publiques. Il a, de ce fait, tendance à réguler au mieux les intérêts des milieux dont il est issu.

Selon la même logique mais du point de vue judiciaire, pour contourner les longues procédures judiciaires, incertaines et parfois coûteuses, l’arbitrage s’est présenté comme une solution alternative de plus en plus sollicitée dans les milieux d’affaires, surtout à l’international.

Pour la «nouvelle économie» et le cyberespace, ces deux procédés que sont le recours à un droit issu directement des usages des commerçants et le recours à l’arbitrage de préférence aux procès classiques, constituent sans doute la voie la plus prometteuse. En tout cas, la «nouvelle économie» liée à l’informatique par définition mondialisée, place ses opérateurs et ses intervenants devant des problèmes inédits. Des problèmes auxquels le droit traditionnel n’a pas ou a du mal à trouver des solutions acceptables et opérationnelles. 
Souvent encore, ce droit est démuni devant entre autres la cybercriminalité, le piratage des données, l’atteinte à la vie privée, les téléchargements illégaux, la protection du droit de propriété. On est souvent à l’égard de ces catégories devant «un monde de non-droit», sinon presque toujours en zone de vide juridique.
Sans conteste, l’exemple emblématique à ce sujet est la protection de la propriété intellectuelle en matière de logiciels où des entreprises sont devant des législations nationales ou internationales insuffisantes. Et, on peut en dire plus pour les transactions financières et commerciales par Internet à l’égard desquels le monde des affaires est passé sans transition du formalisme pointilleux et du support papier comme preuve, à pratiquement l’absence totale de formalisme par le biais de l’informatique.
C’est à ce titre que le rappel historique de la lex mercatoria est utile. Elle a permis aux intervenants et opérateurs concernés de prendre leurs affaires en main et de créer leurs propres usages pour protéger leurs droits et asseoir leurs procédures transactionnelles.
Aujourd’hui, ces usages sont renforcés parallèlement par des moyens technologiques. Ils s’appuient sur des solutions techniques efficaces pour contrecarrer les techniques de piratage ou de violation de la propriété intellectuelle et industrielle et des droits voisins. Ces moyens ont pour nom cryptage, mise à jour en ligne régulière, spyware…
La doctrine appréhendera sans doute cette évolution de la même manière qu’elle avait conceptualisé la lex mercatoria. Entre le rejet de certains puristes qui n’y verraient qu’un ensemble de coutumes commerciales insaisissables et incontrôlées, fruit d’un pouvoir privé dominant et la position d’autres juristes plus pragmatiques qui préconisent le libre choix des intéressés pour organiser leur cybermarché, c’est la pratique qui finira par trancher. Elle rejettera les règles inappropriées et sauvegardera les règles nécessaires et utiles. C’est en fait toute l’histoire du droit commercial. Dans cette discipline, la pratique commence par expérimenter des règles issues de l’usage, la doctrine les conceptualise, la jurisprudence en tient compte et le droit étatique enfin finit par les consacrer. Souvent en les modulant en fonction de ses propres impératifs.
Mais, on le voit, ce processus est trop lent pour le cybermonde. Il était parfait pour la lex mercotaria. Pour suivre le rythme rapide de l’évolution technologique et informatique, l’Etat et sa jurisprudence devraient accélérer la cadence pour ne pas être largués par cette nouvelle lex informatica. Car celle-ci est le fruit d’un monde mondialisé, ultra rapide, virtuel et donc insaisissable et redoutable d’efficacité. Elle régit une réalité et un cybermonde qui n’attend pas. Le droit étatique ne semble pas pouvoir retarder ses échéances et ses rendez-vous. Ce n’est pas lui qui a la maîtrise du temps.



La lex informatica, nouvelle discipline juridique





Avant, il fallait parfois des siècles pour innover une procédure marchande. Aujourd’hui, en peu de temps, le cybermonde et Internet peuvent être de formidables terrains d’essai pour inventer et mettre en œuvre de nouvelles solutions susceptibles de régler des problèmes juridiques essentiels. Des règles contractuelles innovantes ont au fur et à mesure (c’est le cas de le dire), émergé et ont été affinées pour combler les vides juridiques en matière de transactions électroniques de toutes sortes. Sont apparus ainsi des codes éthiques et des règles de bonne conduite acceptées spontanément par la cybercommunauté.

Le neniquette en est un exemple; sans avoir été imposé d’autorité par aucun ordre juridique classique. Des tribunaux ont de même été instaurés et proposés directement sur Internet. Des services d’arbitrage et de médiation ad hoc sont proposés en ligne. C’est le cas de Cyberjustice, du Virtual Magistral, de l’Online Ombuds Office. Ces instances proposent un formidable gain de temps et d’argent comparées aux recours devant les tribunaux nationaux traditionnels.

Des enquêtes montrent que les sentences et décisions émanant de ces instances en ligne sont plutôt respectées par la cybercommunauté. Plus, le secteur de la cyberjustice semble progresser et des entreprises qui proposent leurs services en ce domaine ont réussi au point d’être cotées en Bourse.
Dans le cybermonde, c’est donc le concept même de la lex mercatoria qui paraît évoluer pour s’adapter à ce nouvel espace. Certains délaissent d’ailleurs cette appellation de lex mercatoria pour parler déjà de la lex electronica ou lex informatica. Ce serait, en somme, un droit nouveau, transnational, créé directement par la cybercommunauté. Un droit d’origine privé, nécessaire pour répondre aux besoins des transactions électroniques et de la vie informatisée.

1 commentaire:

  1. Je vous remercie énormément pour cet article monsieur Ben Othmane. Cependent, j'aimerais savoir si la Lex Electronica a été officiellement adoptée comme c'est le cas de la Lex Mercatoria ou c'est juste un concept encore en phase préparatoire.
    Merci d'avance.

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